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Histoire


Geneviève Désiré-Vuillemin
Kango Moussa, Empereur du Mali

Agrégée de l'Université. Docteur ès-Lettres - Institut Pédagogique National. Paris. N° 2. 1963. 25 p.


Kango Moussa
1312-1337

Introduction

Introduction

C'est le plus célèbre prince du Mali. Il appartenait à la famille des Keita — originaires de la région du confluent Niger-Sankarani. Les premiers princes mandés n'étaient que d'obscurs chefs de province, vassaux des rois de Ghana, puis de ceux de Sosso. Le nom de « Keita » aurait été créé en faveur de Soundiata. D'après Ibn Khaldoun, on établit ainsi la généalogie suivante des princes du Mali.

Généalogie

Puis vient la décadence,

Rappelons brièvement que l'Empire du Mali fut fondé par Soundiata (vers 1230-1255), qui vainquit le Roi de Sosso à la bataille de Kirina et s'empara de Ghana (vers 1240). Il édifia une nouvelle capitale, Niani (confluent Niger-Sankarani). Il organisa une bonne administration, qui allait servir de base à l'Empire Mandingue qu'il constitua.

L'empire s'agrandit sous ses successeurs et atteignit son apogée avec Kango Moussa ou Mansa Moussa. Kango est le nom de la mère de ce prince, il indique la filiation maternelle. Mansa est un titre, qui signifie : « roi ».

Nous connaissons bien Kango Moussa, grâce aux récits des voyageurs arabes.

D'après ces écrits — dont les plus anciens semblent les mieux informés — nous pouvons tenter de dégager un portrait moral de Kango Moussa et de nous faire une idée du Mali sous son règne.

Kango Moussa : 1312-1337 succède à Aboubakari II, son père, qui l'a investi du pouvoir avant de disparaître dans une curieuse entreprise : il s'était obstiné à vouloir atteindre l'extrémité de « la mer environnante » (l'Atlantique) avec une escadre de pirogues.

A l'avènement de Kango Moussa l'Empire du Mali s'étend du Sénégal à l'Aïr et de la Gambie à l'Adrar, 2.500 km de long sur 1.200 de large.

La puissance de l'Empereur repose sur :

  1. une excellente administration :
    Il est représenté par de hauts fonctionnaires dans toutes les provinces et les Rois vassaux lui paient exactement tribut, moyennant quoi ils ne souffrent pas de tracasseries mais sont assurés d'une paix profonde.
  2. une bonne armée.
  3. de saines finances : L'Empereur du Mali est le grand producteur d'or du monde médiéval.
    L'or est extrait du Bambouk et du Bouré, chez les « païens ». La poudre d'or est abandonnée au commerce, le Roi se réserve l'or en pépites. Des caravanes nombreuses circulent entre l'Égypte et les villes commerçantes du Mali, entre le Maghreb et Oualata, Tombouctou, Mali, Ghana, Dienné. Elles apportent les produits ouvragés du Moyen Orient, d'Afrique du Nord et même d'Europe - tapis, étoffes de luxe, fruits secs, parfums, armes, sel — qui sont échangés contre les esclaves, l'ivoire, les plumes — et la poudre d'or.

Une paix et une justice rigoureuses facilitent les transactions dans l'Empire et les marchands y viennent volontiers, assurés qu'ils sont que leurs peines seront largement payées par de beaux bénéfices et un accueil des plus empressés chez les noirs hospitaliers ou, s'ils sont musulmans, dans les communautés islamiques implantées dans toutes les villes commerçantes et protégées spécialement par l'Empereur du Mali.

Kango Moussa est en effet d'une foi ardente et d'une piété profonde : en un sens, on pourrait le mettre en parallèle avec le roi de France Saint Louis. Comme lui, il a le sens de la justice, le désir de convertir à sa foi les incroyants — sans cependant, aller jusqu'à la guerre sainte contre les païens fournisseurs d'or, ce qui en ferait baisser la production. Il s'entoure de docteurs de la loi, cherche toutes les occasions pour s'instruire dans sa religion, accomplit avec zèle le pèlerinage de la Mecque (1324), distribue des fortunes en aumônes, fait élever, par les soins d'un architecte grenadin, les premières mosquées au Soudan. Il échange des cadeaux et des ambassades avec les princes d'Égypte et du Maroc. Le nom de Mali parvient jusqu'en Europe. Il a laissé le souvenir d'un faste éblouissant sur son passage ; par la suite, cette réputation de richesse inépuisable fera le malheur du Mali en attirant sur lui les convoitises.

Politiquement, nul ne semble en mesure de résister à la force de l'Empereur : le prince de Gao doit donner ses fils en otages — qui seront d'ailleurs fort humainement traités à la Cour du Mali ; les Touareg se font convoyeurs et ne s'aventurent pas sur les terres de l'Empereur; les Maures de l'Ouest, occupés à se disputer les pâturages, ne présentent aucun danger ; seul, le bloc Mossi s'est montré imperméable à l'Islam et intraitable quant à la soumission de ses Nabas — prêtres-rois — à l'Empereur du Mali, dont il guette une défaillance.

La valeur personnelle de Kango Moussa porte le Mali au sommet de sa gloire.

Ses successeurs seront ses fils et les fils de ses fils (preuve que l'implantation de l'Islam fait prévaloir la succession patrilinéaire, alors que jusqu'à Soundiata — et même après lui — cette règle de succession n'était pas absolue, mais s'entrecroisait avec des successions en ligne matrilinéaire).

Ces descendants d'un ancêtre illustre ne se montreront pas à la hauteur de leur tâche.

Un siècle plus tard, les Touareg enlèvent Tombouctou, important « port » en bordure du Sahara. Et les princes de Gao, avec Sonni Ali, mettent alors le Mali sous leur suzeraineté. L'Empereur sonraï — ou Empereur de Gao — prend la relève jusqu'à ce que la réputation de richesse en or attire sur l'empire de Gao la cupidité des sultans marocains.

Une poignée de mercenaires commandés par le pacha Djouder — un Espagnol — parvient à traverser le Sahara de Marrakech jusqu'à Tombouctou ; et grâce à des mousquets, vainc l'armée de l'Empire de Gao, équipée de lances et de flèches.

Avec l'Empire de Gao, s'écroule le dernier empire soudanais.

A une période de paix, de sécurité, de prospérité au moins relatives, où les misères de campagnes de guerre « accidentelles » s'effaçaient assez vite, succède une période de pillages, d'insécurité, d'épidémies : la guerre et la razzia sévissent continuellement, entretenues par les gens du désert et les marchands d'esclaves.

L'Afrique soudanaise ne retrouvera la paix que lorsqu'une puissance étrangère l'imposera, par-dessus les intérêts ou les intrigues de petits princes ou d'aventuriers locaux.

Et les Keita redeviendront ce qu'ils étaient avant Soundiata : de petits chefs effacés, vivant obscurément à Kangaba. Mais leurs griots généalogistes entretiendront le souvenir glorieux des Empereurs qui portèrent très haut le nom de Mali et surent bâtir et organiser un des plus grands empires de l'Afrique noire.