webMande
Histoire


Ibrahima Khalil Fofana
L'Almami Samori Touré. Empereur
Récit historique

Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages


Previous Home Next

Chapitre XIV
Epilogue

Cependant, le 1er mai 1898, la destruction à coups de canon de la citadelle de Sikasso par les troupes coloniales françaises sonna le glas de la résistance. Il ne pouvait plus être question de compter sur les murs de « Bori-bana ».

Glas de la lutte contre les Français

L'Almami Samori tint conseil : l'option préconisée et soutenue par Morifindian Diabaté fut adoptée. Il fut décidé de renoncer à la lutte contre les Français, en faveur d'un retrait à N'Zappa, en territoire libérien, où le monarque pouvait encore compter sur des amis Tomas.

L'itinéraire pour y arriver devait nécessairement passer par la zone sud du mont Nimba, évitant ainsi les postes installés dans le Konia, le Maou et le Karagwa par les troupes coloniales françaises.

A partir de ce moment, les activités des différents corps d'armée convergèrent vers la réalisation de ce deuxième mouvement d'exode : ouvrir la voie à travers la forêt en contournant le secteur de Beyla par le sud, opérer des razzias pour se procurer de la nourriture tout en assurant la défense des arrières afin de parer à une éventuelle attaque des troupes coloniales du Soudan.

Dans ce pays mal connu malgré le séjour que Morifindian y avait effectué auparavant, des difficultés de tous ordres entravèrent la marche en avant. L'hostilité des populations attisée par les agents à la solde des troupes coloniales, la configuration de ce paysage montagneux et rocheux n'autorisant aucun développement significatif de l'action des sofas, la densité exceptionnelle du couvert végétal, l'abondance des pluies rendant difficile la marche dans les fondrières et la traversée de fleuves en crue, tout concourait à transformer l'exode en une catastrophe.

Si l'on ajoute à ces difficultés l'impossibilité de s'approvisionner, on ne peut s'empêcher de penser au sort de la grande armée napoléonienne dans les déserts enneigés de Sibérie. Ce qui devait arriver, arriva.

Ecoutons l'un des survivants, Makoni Kaba Kamara :

La faim traquait de toutes parts ; les céréales et les tubercules ayant manqué on en fut réduit à consommer des feuilles et des racines, d'abord en se référant au choix des chèvres, puis sans discernement, les victimes par empoisonnement se comptaient par centaines, puis par milliers.
Comme la vie ne renonce pas à ses droits malgré tant de morts, nous étions quelques sofas à trouver la force de raconter des blagues ; mais rire aux éclats avec un estomac vide était devenu mortel. Plus d'un d'entre nous est passé de vie à trépas dans les spasmes d'un rire qu'il ne pouvait plus maîtriser. Nous n'en continuions pas moins à nous egayer mais pour rire nous nous contentions de découvrir les dents tout en tapant des mains. Avec un moral aussi solide nous avons pu tenir jusqu'au bout.

Les événements s'enchaînaient inexorablement vers un dénouement tragique. La victoire remportée in extremis à Dwé le 20 juillet 1898 sur les troupes coloniales ne pouvaient rien y changer. Le 29 septembre 1898, au petit jour, la colonne de reconnaissance du capitaine Gouraud déboucha dans la clairière de Guélémou (à la frontière ivoiro-libérienne) où se trouvait le camp de l'Almami Samori. Les sofas de l'arrière-garde furent surpris et n'opposèrent aucune résistance. Traversant au pas de course le groupe des femmes hébétées, et à la faveur du bruit des pilons, la section du sergent Bratières parvint à la demeure de l'Almami, alors absorbé dans la lecture du saint Coran. Instinctivement, l'Almami s'élança vers les écuries à la recherche d'un bon coursier qui lui eût évité la capture. Traqué et rompu par l'émotion, il s'arrêta au moment où le sergent Bratières arrivait à sa hauteur. Il s'assit et demanda qu'on le tuât séance tenante.

« Sâyâ kafissa malodi » plutôt la mort que la honte ! se serait-il écrié.

Ses fils Sarankén-Mori et Mouctar accoururent avec des forces qui pouvaient mettre à mal la colonne Gouraud. Mais l'Almami ordonna de déposer les armes. Sous bonne escorte, accompagné de sa famille et de ses principaux collaborateurs : Moriafindian Diabaté, Niamakana-Amara et tant d'autres, il fut traîné à travers les pays qui avaient connu sa gloire. Le prestige du conquérant français était à ce prix, sinon le chemin le plus court de Guélémou à Kayes passe certainement par Bougouni et Bamako !

Nous ne reprendrons pas ici la narration en détail des multiples incidents qui ont émaillé le parcours. Ils sont assez connus. Cependant l'histoire a retenu que d'une manière générale, la populace ameutée à bon escient par les agents du colonialisme s'en est souvent donné à coeur joie en injures, en quolibets de toutes sortes tandis que les éléments conscients de la population firent preuve de retenue, de dignité. La question qui se laissait deviner sur toutes les lèvres portait sans doute sur l'avenir que Dieu, le Créateur, réservait à l'Afrique, maintenant que les Toubabs avaient vaincu le plus fort d'entre ses fils.

Néanmoins certains événements peuvent être considérés comme les temps forts de cette fin de règne. Il nous a paru intéressant de les relater d'autant plus qu'ils apportent plus d'éclairage sur le personnage de l'Almami Samori Touré. Le premier s'est produit à Kérouané dans son village natal (Miniambaladou est à moins de dix kilomètres de là).

Écoutons Kaba Kanté 1 :

Le cortège de l'Almami Samori, vaincu par les troupes coloniales françaises approchait de notre village qui s'était donné un air de fête. Toutes les rancunes des frères-ennemis (fâdén) avaient refait surface.

Un homme en particulier, un cousin utérin du vaincu, Koya Amara, avait de bien solides raisons d'être exubérant dans sa joie de rencontrer Samori vaincu.
Il avait revêtu pour la circonstance ses plus beaux habits. Bel homme qu'il était, plein de prestance, il avait arboré le fameux turban dont le monarque vaincu s'était adjugé le monopole du port. Ses épouses avaient reçu la consigne de se parer du mieux qu'elles pouvaient. Mais pourquoi tant de soins pour accueillir un parent dans le malheur ? Il s'agit de l'un des tours de surprise du destin dont Dieu seul détient le secret dans Son omniscience. Voyons les faits.
Rappelons qu'en 1881, l'Almami Samori a vaincu Séré Bréma à Worokoro dans le Sabadou. Il a aussitôt entrepris une tournée triomphale à travers les États de Séré Bréma.
C'est en ce moment que se sont déroulés les faits, objets de notre narration. Précisons que c'était à Kanfanrandou au bord du Dion, non loin de Madina. C'était la période des pluies, tous les fleuves étaient en crue.
En savourant sa récente victoire, l'Almami Samori voulut s'assurer que le pouvoir dans sa région natale n'échapperait pas un jour à sa dynastie. Il fit donc procéder à des consultations occultes. Koya Amara, dont la prestance et la bravoure lui portaient déjà ombrage, fut désigné comme son successeur « révélé ».
Froidement, et sans autre forme de procès, l'Almami Samori confia Amara au bourreau pour être décapité. Ce bourreau, un Wassoulounké en qui l'Almami avait une grande confiance, et pour cause, avait partagé les jeux d'enfance avec Samori et Koya Amara à Kérouané, et fut pris de sentiment.
Regardant Amara, il lui dit: « Dieu t'a fait beau et brave ; nous avons toujours été aux petits soins de la part de ta mère Makoya. Regarde ce fleuve en crue, peux-tu le traverser à la nage ? »
Koya Amara de répondre: « Je suis déjà condamné à mourir ; il vaut mieux que je tente ma chance en me jetant à l'eau. Si Dieu a décidé que je survive à l'épreuve, je m'en sortirai. »
Le bourreau : « Alors donne-moi vite tes vêtements, y compris la bague que tu portes et que Fama aura peut-être remarquée. »
Ce qui fut fait. Le bourreau décapita un captif de guerre qu'il tenait à portée de main et s'en alla présenter la tête à l'Almami Samori dans un geste circulaire, rendant aléatoire l'identification correcte de la victime ; le rictus de la mort sur le visage du mort facilita la duperie.
— Pâqui ! s'était exclamé de satisfaction le monarque.
Quant à Koya Amara, Dieu l'avait sauvé en lui permettant de traverser le fleuve en crue, de s'en aller à l'aventure à travers la brousse de peur d'être repris. S'orientant toujours à l'est, il avait ainsi traversé de part en part la région de Samana dans le Bèla-Farana pour se trouver enfin en sécurité dans le Maou, en Côte d'Ivoire, précisément à Touba où il apprit l'arrestation de l'Almami Samori Touré.
A l'annonce de cette nouvelle il reprit le chemin de Kérouané.
Dix-sept ans après son sauvetage miraculeux, nous nous retrouvons donc avec lui en ce mois d'octobre 1898, à l'arrivée du cortège de l'Almami Samori, maintenant sur le chemin de l'exil.
Le cortège du vaincu s'était installé en arrivant à Kérouané, à l'ombre du baobab planté juste derrière la concession de Koya Amara.
Ce dernier vint aussitôt à l'accueil : « Bonjour N'Kôrô (frère aîné). Voici un peu d'eau fraîche pour te désaltérer ; l'étape a été certainement longue et pénible ! »
Sursautant à l'audition de ces mots prononcés par une voix qu'il avait vite reconnue, l'Almami Samori leva brusquement la tête ; il vit devant lui un Koya Amara au meilleur de sa forme, arborant le fameux turban.
Sous l'effet de la surprise, il eut un choc, fut pris de panique et se mit à crier, épouvanté : « Mon Dieu est-il possible que les morts puissent ressusciter ? Allah akbar, Allah akbar ! Dieu, tu es réellement le plus grand ! »
Calmement Koya Amara lui répliqua: « N'Kôrô, la vie de l'homme relève de Dieu et de lui seul. »

Devant tant de sérénité et de mansuétude le vaincu reprit ses sens et formula la supplique suivante :
— Jeune frère Amara, Dieu a déjà jugé entre nous. Tout ce que je te demande, c'est de ne pas te venger sur mes descendants.
La supplique fut entendue et acceptée car bien des descendants de l'Almami Samori Touré ont connu et connaissent encore des jours paisibles chez nous à Kérouané.

L'adieu de Samori � Kankan

L'étape de Kankan n'a pas donné lieu à un événement singulier mais elle mérite qu'on s'y arrête.

A Kankan, selon El' Hadji Alfa Diobaté, l'illustre vaincu a été mieux traité.

Les Chérifs, ses alliés, se sont employés à le réconcilier avec les Kaba, qui ont accepté d'accueillir et de protéger les descendants de l'Almami. Cet engagement a éte respecté.

— Installez-vous auprès des Maninka-Mori, aurait-il conseillé à ses descendants ; ils ne sont pas rancuniers.

Arrivée du convoi à Kayes

Le convoi arriva à Kayes après d'interminables scènes d'humiliation. Le 22 décembre 1898, à Kayes le gouverneur du Soudan, M. de Trentinian prononça au cours d'une céremonie d'une solennité exceptionnelle, la sentence condamnant l'Almami Samori Touré à « l'exil au-delà des mers » avec son fils Sarankén-Mori et Morifindian Diabaté.

Ils furent embarqués le même jour à bord d'un chaland pour Saint-Louis, avec le Gabon comme destination finale. Au moment du départ l'Almami fut autorisé à se faire accompagner par l'une de ses épouses.

Se tournant alors spontanément vers celle qui avait réellement joui du pouvoir, en tout cas mieux que toute autre, Sarankén Konaté, il déclara :
— « Je pense que lorsqu'on a siroté ensemble dans la vie des coupes de miel, il est normal, le moment venu, de vider ensemble le calice de l'amertume » (djâladji : décoction très amère d'écorce de caïlcédrat).

Le troisième et le dernier événement significatif de cette fin de règne se situe en ce moment précis.

Contre toute attente, Sarankén Konaté refusa catégoriquement de suivre l'Almami Samori et se mit à l'abreuver de reproches véhéments :
— « Je ne suis pas une parricide ; as-tu oublié que tu as fais décapiter mon père le jour même où mon oncle Fodé, le traître, m'a fait introduire dans ta case et dans les conditions que tu sais ! Tu ne savais pas qu'un plus fort disposerait de toi. J'ai retrouvé ma liberté, je ne te suivrai pas !»

L'écroulement d'un édifice de plusieurs étages n'aurait pas produit un effet différent. Abasourdi, il se réfugia dans un mutisme absolu dont il ne sortira pas de sitôt à Saint-Louis où, pour comble de malheur, on le promena comme un fauve exotique.

La nuit, le désespoir le domina à tel point qu'il tenta de se suicider.

Au Gabon, dans l'île de Missanga (région de l'Ogooué) il avait à ses côtés Tiranké-Oulén Kamara de Damaro. Il fut soumis à un régime pénitentiaire contrariant ses habitudes sur tous les points : l'immobilité dans une enceinte étroite pour celui qui avait passé plus de la moitié de sa vie a galoper sur un cheval ; l'isolement pour ce meneur de foules ; un régime alimentaire des plus inadaptés parce que essentiellement composé de tubercules pour celui qui affectionnait les mets légers ; enfin un climat chaud et humide pour ce fils de la savane soudanaise, tout devait concourir à précipiter sa fin.

Il mourut le 2 juin 1900 des suites d'une broncho-pneumonie.

Au terme de la narration de cette histoire puisée essentiellement dans la tradition orale de 1954 à 1996, certaines remarques nous viennent à l'esprit.

Il est significatif que les anciens sofas que nous avons eu le privilège d'interroger, ont tous réagi de la même manière : d'abord émus à l'évocation du souvenir de l'Almami Samori Touré, ils ont ensuite accepté de bonne grâce, de relater les faits vécus par eux ou de communiquer les informations enregistrées autour d'eux. Dans leur narration, ils devenaient de plus en plus volubiles dans une jactance irrésistible où perçaient des sentiments de regret pour un passé glorieux et aussi d'admiration pour l'exceptionnelle performance de l'Almami Samori Touré.

Quand on sait que bon nombre d'entre eux avaient vu leurs villages détruits à la suite de la répression de la révolte de 1888 ; que leurs familles avaient été dispersées ; qu'ils étaient restés eux-mêmes totalement démunis après la débâcle de la fin de règne, force est de reconnaître la sincérité de leur attachement à l'Almami Samori et à son oeuvre.

Le sentiment dominant est la fierté d'avoir participé à une telle entreprise, sans précédent. Puissions-nous avoir reussi à transmettre leur message, aussi fidèlement que possible !

Conakry le 25 juin 1996
Ibrahima Khalil Fofana

Note
1. Voir liste des informateurs.


[Home | Bibliothèque | Histoire | Recherche | Aser | Bambara | Bambugu | Bozo Jakhanke | Jalonke | Jawara
Kagoro | Kasonke Konyanke | Koranko | Lele | Maninka | Marka | Mau | Mikifore | Nono
Sankaran | Sidyanka | Soninke | Susu | Toronka | Wasulunka ]


Contact :
webMande, webAfriqa, webPulaaku, webFuuta, webCôte, webForêt,
webGuinée, Camp Boiro Memorial, afriXML, BlogGuinée. © 1997-2013. Afriq Access & . All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.