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Histoire


Ibrahima Khalil Fofana
L'Almami Samori Touré. Empereur
Récit historique

Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages


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Chapitre XII
Les années de sursis

En 1894, la présence des troupes coloniales à Ségou contrecarrait toute tentative de progression vers le nord.

Les positions en pays Bambara avaient été ébranlées par une nouvelle révolte généralisée soutenue par Babemba. Coupée de ses sources d'approvisionnement en armes de l'ouest et du sud, l'armée samorienne risquait de ne plus avoir accès aux marchés de chevaux de la boucle du Niger, remplaçant ceux du Sahel.

La seule possibilité qui s'offrait à l'Almami était de pousser vers l'est. Le secteur du Djimini était conquis par Sarankén-Mori depuis le mois de mai.

En février 1895, l'Almami Samori s'installa dans le Djimini avec Dabakala comme capitale.

L'armée du Nord, maintenant sous les ordres de Kunadi-Kéléba secondé par Djina-Mansa, contenait les troupes de Sikasso et maintenait l'accès aux marchés de chevaux tandis que Dabadou N'Golo dans le Karagwa et Morifindian Diabaté dans le Maou surveillaient les mouvements des troupes coloniales stationnées à Beyla dans le Sud.

La poussée vers l'est se poursuivait avec Sékoba Kourouma à l'avant-garde, Sarankén-Mori secondé par Niamakana-Amara Diabaté menant le gros des effectifs.

L'Almami Samori tourna résolument le dos à l'ouest.

En s'enfonçant vers l'est, il était persuadé que ses conquêtes seraient protégées par la grande forêt au sud-est en direction des côtes du golfe de Guinée.

Son objectif immédiat fut la conquête de Kong, la grande métropole religieuse et commerciale de la région. Ce gros centre était le point de convergence des caravanes en provenance du golfe de Guinée et de celles de la boucle du Niger.

L'occupation de la ville de Kong avait pour l'Almami Samori un triple intérêt comme celle de Kankan : intérêt politique, intérêt stratégique et surtout intérêt économique. En effet, cet important noeud de communications lui permettrait d'accéder d'une part aux marchés de chevaux du pays Mossi par Bobo-Dioulasso, d'autre part aux comptoirs de la côte pour son approvisionnement en marchandises diverses, en armes et munitions. Les autorités coloniales françaises n'ignoraient,pas les intentions de l'Almami Samori. Aussi une mission fut-elle rapidement constituée sous les ordres du capitaine Marchand.

Partie de la côte, elle progressa vers l'arrière-pays avec pour objectif l'occupation de la ville de Kong. Ce gros centre avait été choisi comme clé de voûte du projet de liaison de la côte à la boucle du Niger ; ceci dans le double but de bloquer toute progression des Anglais dans le secteur et de rentabiliser les conquêtes du Soudan jugées alors stériles, économiquement.

Marchand accéléra son mouvement afin de devancer l'Almami à Kong. Il y arriva le 30 avril 1894.

Dans son approche politique auprès des populations de la région, il s'appuyait sur les amitiés que Binger avait tissées au profit de l'influence française en mai 1892, soit deux ans auparavant. Mais la situation n'était plus la même, et avait dangereusement évolué contre les intérêts français pour un certain nombre de raisons : il y avait tout d'abord la famine qui sévissait; ensuite Karamo-Oulén Wattara qui representait les intérêts français voyait son prestige baisser du fait que d'une part il ne réussissait pas à vaincre la tribu voisine des Pallakas et que d'autre part les promesses faites par Binger pour protéger la ville n'avaient pas été tenues.

Enfin la présence de l'Almami Samori dans la région achevait de rendre les habitants de Kong très réticents à toute nouvelle collaboration avec les troupes coloniales françaises.

La colonne Monteil avait été constituée à la hâte en août 1894 pour occuper Kong. Cependant pour des raisons certainement liées aux contradictions internes au sein des équipes de décideurs coloniaux, cette colonne ne put quitter Bassam qu'en février 1895.

L'Almami Samori ne se doutait pas, quant à lui, qu'il allait se heurter une fois de plus aux troupes coloniales. Il ne pouvait les imaginer traversant la forêt dense de la côte qu'il considérait comme une protection sûre de ses Etats au sud.

Aussi, lorsque le 2 mars 1895, l'avant-garde des sofas, sous le commandement de Sékoba se heurta à celle de la colonne Monteil, l'Almami fut-il surpris et choqué.

Une fois de plus ses ambitions de conquête pour s'épanouir se heurtaient aux visées impérialistes des colonisateurs français. Sous la pression des sofas, harcelés par Sarankén-Mori, Sékoba et Forobaro-Moussa, la colonne Monteil dut battre en retraite le 14 mars 1895 dans les pires difficultés. Les pertes étaient énormes, Monteil avait eu la jambe cassée.

Ce fut un désastre retentissant qui accrut le prestige de l'Almami Samori dans la région.

Du côté français, la ville de Kong, dont la protection était l'objectif de la colonne Monteil, fut abandonnée à son sort, pour un certain temps du moins.

Le projet de jonction entre le Soudan, la boucle du Niger et la côte du golfe de Guinée, fut alors suspendu. L'Almami Samori a pu ainsi connaiÎtre au moins deux années de répit qu'il mit à profit pour organiser les territoires conquis.

Il entreprit la conquête du Gurunsi et du Mossi dont le potentiel économique et humain était fabuleux.

Nous estimons qu'il est utile à présent d'étudier comment le conquérant a réussi à se maintenir dans des territoires aussi éloignés de son pays natal. Quels étaient les fondements nouveaux sur lesquels l'empire reposait ?

Dans sa progression vers l'est, surtout en pays Sénufo, l'Almami s'était servi du levier des contradictions qui avaient toujours opposé les Sénufos et les Bambaras, qui les ont souvent subjugués. La victoire éclatante sur Babemba à Kaloua en septembre 1894 avait parachevé son prestige aux yeux des Sénufos qui le rallièrent en masse. Le ralliement de Gbon Koulibali (alias Péléfégho) en fut l'exemple éloquent et décisif.

Dès lors l'Almami pouvait renouveler les effectifs de son armée, qui n'avait pas échappé au phénomène de l'érosion dû à l'exode.

De nombreux sofas avaient déserté, n'ayant pu supporter la nostalgie du terroir natal et aussi la famine devenue endémique. Aussi l'occupation de cette riche contrée Sénufo n'a-t-elle pas revêtu seulement un caractère militaire. Très vite, elle prit l'allure d'une colonie de peuplement. Grâce à l'apport des immigrants la production agricole reprit en vigueur.

Sur le plan politique l'intégration de cette population de conquérants rendait difficile toute velléité de révolte.

Par ailleurs l'Almami s'était fait plus souple quant à la pratique de l'islam. Les peuples soumis n'étaient plus inquiétés dans leurs pratiques animistes : Baoulé, Abro, Ashanti étaient traités convenablement dans la mesure où ils ne gênaient pas les mouvements des caravanes commerciales en direction ou en provenance de la côte du golfe de Guinée.

L'expérience l'ayant instruit, l'Almami organisait les actions de son armée en les adaptant aux conditions climatiques. Ainsi il concentrait le gros des effectifs de son armée sur les zones proches des troupes coloniales en saison sèche, période d'activité intense pour celles-ci tandis qu'il mettait à profit l'accalmie de l'hivernage pour poursuivre les conquêtes vers l'est.

Organisé de cette manière, l'empire a pu connaître encore deux bonnes années de vie normale (1895-1897).


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