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Histoire et Tradition Orale


Djibril Tamsir Niane
Soundjata ou l'épopée mandingue
Paris. Présence africaine. 1960. 212 pages


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Nana Triban et Balla Fasséké

Soundjata et sa puissante armée s'arrêtèrent quelques jours à Sibi, la route du Manding était libre, mais Soumaoro n'était pas vaincu. Le roi de Sosso avait levé une puissante armée, ses Sofas se comptaient par milliers; il avait levé des contingents dans tous les pays qu'il contrôlait et s'apprêtait à fondre à nouveau sur le Manding.

Sogolon-Djata avait minutieusement fait ses préparatifs à Sibi, il avait maintenant suffisamment de Sofas pour affronter Soumaoro dans une plaine découverte. Mais il ne s'agissait pas d'avoir beaucoup de guerriers, pour vaincre Soumaoro. Il fallait détruire d'abord sa puissance magique à Sibi, Soundjata se décida à consulter les devins ; les plus célèbres du Manding étaient là.

Sur leur conseil, Djata devait immoler cent taureaux blancs, cent béliers blancs et cent coqs blancs. C'est au milieu de ces hécatombes qu'on vint annoncer à Soundjata que sa sœur Nana Triban et Balla Fasséké, ayant pu s'échapper de Sosso, étaient arrivés. Alors Soundjata dit à Tabon Wana : « si ma soeur et Balla ont pu s'échapper de Sosso, Soumaoro a perdu la bataille.»

Quittant le lieu des sacrifices Soundjata rentra à Sibi et rencontra sa sœur et son griot: – Salut, mon frère, dit Nana Triban. – Salut ma sœur. – Salut Soundjata, dit Balla Fasséké. – Salut mon griot.

Après de nombreuses salutations, Soundjata demanda aux fugitifs de raconter comment ils avaient pu tromper la vigilance d'un roi tel que Soumaoro. Mais Triban pleurait de joie. Du temps de leur enfance, elle avait marqué beaucoup de sympathie à l'enfant infirme qu'avait été Soundjata ; jamais elle n'avait partagé la haine de sa mère Sassouma Bérété. – Tu sais, Djata, dit-elle en pleurant, moi je ne voulais pas que tu quittes le pays, c'est ma mère qui a tout fait. Maintenant Niani est détruit, les habitants sont dispersés, il y en a beaucoup que Soumaoro a emmenés en captivité à Sosso.

Elle pleura de plus belle. Djata était sensible à tout cela, mais il était pressé de savoir quelque chose sur Sosso. Balla Fasséké comprit et dit : – Triban, essuie tes larmes et raconte, parle à ton frère. Tu sais, il n'a jamais pensé du mal de toi, d'ailleurs tout cela était dans le destin. – Quand tu quittas le Manding, mon frère m'envoya de force à Sosso pour être l'épouse de Soumaoro dont il avait grand peur. Je pleurai beaucoup les premiers jours, mais quand je vis que tout n'était peut-être pas perdu, je me résignai momentanément. Je devins aimable avec Soumaoro et je fus l'élue parmi ses nombreuses femmes. J'eus ma chambre dans la grande tour où il habitait lui-même. Je savais le flatter et le rendre jaloux. Bientôt je devins sa confidente, je feignis de te haïr, de partager la haine que ma mère te portait. On disait que tu reviendrais un jour, mais je lui affirmai que jamais tu n'aurais la prétention de revendiquer un royaume que tu n'avais jamais possédé et que tu étais parti pour ne plus revoir le Manding. Cependant j'étais en rapport constant avec Balla Fasséké, chacun de nous voulant percer le mystère de la puissance magique de Soumaoro. Une nuit j'attaquai à fond et je dis à Soumaoro :

« Dis-moi, ô toi que les rois nomment en tremblant, dis-moi Soumaoro, es-tu un homme comme les autres, es-tu l'égal des génies qui protègent les humains ? Nul ne peut soutenir l'éclat de tes yeux, ton bras a la force de dix bras ; dis-moi, ô toi, roi des rois, dis-moi quel génie te protège afin que je l'adore moi aussi. »

Ces paroles le remplirent d'orgueil, il me vanta lui-même la puissance de son « Tana », cette nuit même il m'introduisit dans sa chambre magique et me dit tout. Alors je redoublai d'ardeur à me montrer fidèle à sa cause, je semblai plus accablée que lui ; c'est même lui qui en venait à me dire de prendre courage et que rien n'était encore perdu. Pendant ce temps, en accord avec Balla Fasséké, je préparais la fuite inévitable. Personne ne me surveillait plus dans l'enceinte royale dont je connaissais les moindres détours. Et une nuit que Soumaoro était absent, je partis de la formidable tour, Balla Fasséké m'attendait à la porte dont j'avais la clef. C'est ainsi, frère, que nous avons quitté Sosso. »

Balla Fasséké enchaîna :

« Nous sommes accourus vers toi ; la nouvelle de la victoire de Tabon me fit comprendre que le lion a brisé ses chaînes.
O fils de Sogolon, je suis la parole et toi l'action, maintenant ton destin commence.»
Soundjata était très heureux de retrouver sa sœur et son griot ; il avait maintenant le chantre qui, par sa parole, devait perpétuer sa mémoire. Il n'y aurait pas de héros si les actions étaient condamnées à l'oubli des hommes, car nous agissons pour soulever l'admiration de ceux qui vivent, et provoquer la vénération de ceux qui doivent venir.

On apprit à Djata que Soumaoro avançait le long du fleuve et voulait lui barrer la route du Manding. Les préparatifs étaient au point, mais avant de quitter Sibi, Soundjata organisa un grand tam-tam dans le camp afin que Balla Fasséké, par sa parole, raffermisse le cœur des Sofas. Au milieu du grand cercle formé par les Sofas, Balla Fasséké exaltait les héros du Manding. Il dit au roi de Tabon:
– Toi dont le bras de fer peut fendre dix crânes à la fois. Toi, Tabon Wana, roi des Sininkimbon et des Djallonké, avant que la grande action ne soit engagée, peux-tu me montrer ce dont tu es capable ?

Les paroles du griot firent bondir Fran-Kamara ; sabre au poing, dressé sur son cheval rapide, il vint s'arrêter devant Djata et dit :
– Maghan Soundjata, je te renouvelle mon serment devant tous les Maninka réunis : je jure de vaincre ou de mourir à tes côtés, le Manding sera libre ou les forgerons de Tabon seront morts.

Les tribus de Tabon poussèrent des cris d'approbation en brandissant leurs armes ; excité par les cris de ses Sofas, Fran Kamara éperonna son coursier et fonça en avant, les guerriers lui ouvrirent les rangs, il fonça sur un grand caïlcédrat et d'un coup de sabre, il fendit l'arbre géant comme on fend une papaye. L'armée ébahie cria :
–Wassa Wassa ... Ayé... 1

Puis, revenant vers Soundjata, le sabre levé, le roi de Tabon dit :
– Ainsi dans la plaine de Djoliba les forgerons de Tabon pourfendront ceux de Sosso. Et le héros vint se ranger prés de Djata.

Se tournant vers Kamandjan, le roi de Sibi et cousin du roi de Tabon, Balla Fasséké dit :
– Où es-tu, Kamandjan, où est Fama-Djan 2. Où est le roi des Kamara Dalikimbon. Kamandjan de Sibi, je te salue. Mais qu'aurai-je à dire de toi aux générations futures ?

Avant que Balla ait fini de parler, le roi de Sibi poussant son cri de guerre, lança son fougueux coursier ; les Sofas, stupéfaits, regardaient l'étrange cavalier se diriger vers la montagne qui domine Sibi... Soudain un fracas emplit tout le ciel : la terre trembla sous les pieds des Sofas et un nuage de poussière rouge couvrit la montagne. Était-ce la fin du monde ?... Mais lentement la poussière se dissipa et les Sofas virent Kamandjan revenir, tenant un morceau de sabre ; la montagne de Sibi, transpercée de part en part, montrait un large tunnel.

L'admiration était à son comble : l'armée resta muette, le roi de Sibi, sans mot dire, vint se ranger près de Sogolon-Djata.

Balla Fasséké nomma tous les chefs, et tous firent de grandes actions, puis l'armée confiante en ses chefs, quitta Sibi.

Notes
1. Wassa-Wassa Ayé. Joie en malinké
2. Fama-Djan signifie « le Chef à la haute taille ». Plus tard, sous Kankou Moussa en particulier, « Fama » sera le titre des gouverneurs de province, le mot Farin sera réservé aux gouverneurs militaires ; Kè-Farin veut dire « guerrier valeureux ».


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