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Histoire et Tradition Orale


Djibril Tamsir Niane
Soundjata ou l'épopée mandingue

Paris. Présence africaine. 1960. 212 pages


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Krina

Soundjata vint établir son camp à Dayala, dans la vallée du Djoliba; c'était lui maintenant qui barrait la route du sud à Soumaoro Kanté. Soundjata et Soumaoro, jusque-là, s'étaient battus sans déclaration de guerre; on ne fait pas la guerre sans dire pourquoi on la fait. Ceux qui se battent doivent au préalable faire une déclaration des griefs ; de même que le sorcier ne doit pas attaquer quelqu'un sans lui reprocher une mauvaise action, de même un roi ne doit pas se battre sans dire pourquoi il prend les armes.

Soumaoro s'avança jusqu'à Krina, prés du village de Dayala sur le Djoliba, et décida d'affirmer ses droite avant d'engager le combat.

Soumaoro savait que Soundjata était aussi un sorcier au lieu d'envoyer une ambassade, il confia ses paroles à un de ses hiboux. L'oiseau des nuits vint se poser sur le toit de la tente de Djata et parla le fils de Sogolon à son tour envoya son hibou à Soumaoro. Voici le dialogue des rois-sorciers :
— Arrête, jeune homme je suis désormais roi du Manding ; si tu veux la paix, retourne d'où tu viens, dit Soumaoro.
— Je reviens, Soumaoro, pour reprendre mon royaume. Si tu veux la paix tu dédommageras mes alliés et tu retourneras à Sosso, où tu es roi.
— Je suis roi du Manding par la force des armes, mes droits ont été établis par la conquête.
— Alors je vais t'enlever le Manding par la force des armes, je vais te chasser de mon royaume.
— Apprends donc que je suis l'igname sauvage des rochers, rien ne me fera sortir du Manding.
— Sache aussi que j'ai dans mon camp sept maîtres forgerons qui feront éclater les rochers. Alors, igname, je te mangerai.
— Je suis le champignon vénéneux qui fait vomir l'intrépide.
— Moi je suis un coq affamé, le poison ne me fait rien.
— Sois sage, petit garçon, tu te brûleras le pied car je suis la cendre ardente.
— Moi, je suis la pluie qui éteint la cendre, je suis le torrent impétueux qui t'emportera.
— Je suis le fromager puissant qui regarde de bien haut, la cime des autres arbres.
— Moi, je suis la liane étouffante qui monte jusqu'à la cime du géant des forêts.
— Trêve de discussion, tu n'auras pas le Manding.
— Sache qu'il n'y a pas place pour deus rois sur une même peau, Soumaoro, tu me laisseras la place.
— Eh bien, puisque tu veux la guerre, je vais te faire la guerre. Sache cependant que j'ai tué neuf rois dont les têtes ornent ma chambre, ma foi, tant pis, ta tête prendra place auprès de celles des téméraires tes semblables.
— Prépare-toi, Soumaoro, car le mal qui va s'abattre sur toi et les tiens ne finira pas de sitôt.

Ainsi Soundjata et Soumaoro ont parlé. Après la guerre des bouches, les sabres devaient donner les conclusions. Le fils de Sogolon était dans sa tente quand on vint lui annoncer l'arrivée de Fakoli, le neveu révolté de Soumaoro. Tous les hommes se mirent en armes, les chefs de guerre rangèrent leurs hommes ; quand tout fut en ordre dans le camp, Djata et les chefs mandinka reçurent Fakoli suivi de ses guerriers. Devant Soundjata, Fakoli s'arrêta et parla ainsi :
— Je te salue Soundjata, je suis Fakoli Koroma, le roi de la tribu des forgerons Koroma, Soumaoro est le frère de ma mère Kassia. J'ai pris les armes contre mon oncle, car Soumaoro m'a outragé ; sans craindre l'inceste il a poussé l'impudence jusqu'à me ravir ma femme Keleya.
Toi, tu viens reconquérir le royaume de tes pères, tu combats Soumaoro, nous avons même but et je viens me mettre sous tes ordres. Je t'apporte mes forgerons aux bras puissants, je t'apporte des Sofas dont le cœur ignore la peur. Soundjata, mes hommes et moi sommes à toi.

Balla, le griot de Soundjata, dit :
— Fakoli, viens prendre place parmi tes frères que l'injustice de Soumaoro a frappés. Viens, le justicier te rejoint dans son sein. En confiant ta cause au fils de Sogolon tu ne pouvais mieux faire.

Soundjata fit un signe que le griot avait bien parlé, mais il ajouta :
— Je défends le faible, je défends l'innocent, Fakoli, tu as subi une injustice, je te rendrai justice, mais j'ai autour de moi mes lieutenants, je voudrais savoir leur avis.

Tous les chefs de guerre tombèrent d'accord ; la cause de Fakoli devenait la cause de Djata ; il fallait rendre justice à l'homme qui venait implorer justice.

Ainsi Soundjata reçut Fakoli Dà-Ba, Fakoli à la grande bouche, parmi ses chefs de guerre.

Soundjata voulait en finir avec Soumaoro avant l'hivernage, il leva son camp et marcha sur Krina où campait Soumaoro. Celui-ci comprit que le moment de la bataille décisive était venu. Soundjata disposa ses hommes sur la petite colline qui domine la plaine. La grande bataille était pour le lendemain.

Le soir, pour remonter le courage des hommes, Djata donna une grande fête, il tenait à ce que ses hommes se réveillent contents le matin ; on tua plusieurs boeufs ; ce soir-là Balla Fasséké, devant toute l'armée, évoqua l'histoire du vieux Manding. Il apostropha ainsi Soundjata assis au milieu de ses lieutenants :

« C'est à toi maintenant que je m'adresse, Maghan Soundjata. Je te parle, roi du Manding, toi vers qui accourent des rois dépossédés.
Voici venir les temps que les génies t'ont prédits. Soundjata, les royaumes et les empires sont à l'image de l'homme, comme lui ils naissent, grandissent et disparaissent ; chaque souverain incarne un moment de cette vie. Jadis les rois du Wagadou ont étendu leur royaume sur tous les pays habités par l'homme noir, mais le cercle s'est fermé et les Wagadou-Cissé ne sont plus que de petits princes dans une terre désolée.
Aujourd'hui un autre royaume se dresse, puissant, le royaume Sosso : des rois humiliés ont porté leurs tributs à Sosso, l'arrogance de Soumaoro ne connaît plus de bornes, sa cruauté est à la hauteur de son ambition. Mais Soumaoro dominera-t-il le monde ? Sommes-nous condamnés, nous griots du Manding, à transmettre aux générations futures les humiliations que le roi de Sosso veut infliger au pays ? Non, réjouissez-vous, enfants du « Clair-Pays », la royauté de Sosso est d'hier seulement, celle du Manding date du temps de Bilali ; chaque royaume a son enfance, Soumaoro veut devancer le temps, Sosso va s'effondrer sous lui comme un cheval fatigué sous son cavalier.
Toi, Maghan, tu es le Manding; comme toi il a eu une enfance longue et difficile : seize rois t'ont précédé sur le trône de Niani, seize rois ont régné avec des fortunes diverses, mais de chefs de villages les Keita sont devenus chefs de tribu, puis rois ; seize générations ont affermi le pouvoir ; tu tiens au Manding comme le fromager tient au sol, par des racines puissantes et profondes. Pour affronter la tempête il faut à l'arbre des racines longues, des tranches noueuses, Maghan-Soundjata, l'arbre n'a-t-il pas grandi ?
Sache, fils de Sogolon, qu'il n'y a pas place pour deux rois autour d'une même calebasse de riz ; quand un coq étranger arrive à la basse-cour, le vieux coq lui cherche querelle et les poules dociles attendent que le nouveau venu s'impose ou qu'il s'incline. Tu es venu au Manding, eh bien ! impose-toi; la force se fait sa propre loi et le pouvoir ne souffre aucun partage.
Mais écoute ce que tes ancêtres ont fait afin que tu saches ce que tu as à faire. Bilali, le deuxième de ce nom, a conquis le vieux Manding ; Latal Kalabi a conquis le pays entre Djoliba et Sankarani. Lahibatoul Kalabi, d'illustre mémoire, en allant à La Meaque, a attiré sur le Manding la bénédiction divine ; Mamadi Kani des chasseurs a fait des guerriers, il a donné la force armée au Manding ; son fils Bamarin, Tagnokelin, le roi vindicatif avec cette armée a fait craindre le Manding ; Maghan Kon Fatta, dit Nare Maghan, à qui tu dois le jour, partout dans le Manding a fait régner la paix et les mères heureuses ont donné au Manding une jeunesse nombreuse.
Tu es le fils de Nare Maghan, mais tu es aussi le fils de ta mère Sogolon la femme-buffle, devant qui les soroiers impuissants reculent de frayeur. Tu as la force et la majesté du lion, tu as la puissance du buffle.
Je t'ai dit ce que les générations futures apprendront sur tes ancêtres, mais que pourrons-nous raconter à nos fils, afin que ta mémoire reste vivante, qu'aurons-nous à enseigner de toi à nos fils ? Quels exploits sans précédent, quelles actions inouïes, par quels coups d'éclat nos fils regretteront-ils de n'avoir pas vécu au temps de Soundjata ?
Les griots sont les hommes de la parole, par la parole nous donnons vie aux gestes des rois ; mais la parole n'est que parole, la puissance réside dans l'action ; sois homme d'action. Ne me réponds plus par ta bouche, demain montre-moi dans la plaine de Krina ce que tu veux que je raconte aux générations à venir. Demain, permets-moi de chanter l'air du vautour sur les corps des milliers de Sossos que ton sabre aura couchés avant le soir ».

C'était à la veille de Krina. Ainsi Balla Fasséke rappela à Soundjata l'histoire du Manding pour qu'il se montre, le matin, digne de ses ancêtres.

Au point du jour, Fakoli vint réveiller Djata pour lui dire que Soumaoro avait commencé à sortir ses Sofas de Krina. Le fils de Sogolon parut, habillé en roi chasseur : il portait un pantalon collant de couleur ocre, il donna ordre de disposer les Sofas en travers de la plaine. Pendant que les chefs s'affairaient, Manding Bory et Nana Triban entrèrent sous la tente de Djata.
— Frère, dit Manding Bory, as-tu préparé l'arc ?
—Oui, répondit Djata, regarde.
Il décrocha son arc du mur et la flèche fatale. Ce n'était point une flèche de fer, c'était du bois avec au bout un ergot de coq blanc. L'ergot de coq était le Tana de Soumaoro, secret que Nana Triban avait su arracher au roi de Sosso.
— Frère, dit Nana Triban, Soumaoro sait maintenant que je me suis enfuie de Sosso, tâche de l'approcher car il te fuira tout au long de la bataille.

Ces paroles de Nana Triban laissèrent Djata inquiet, mais Balla Fasséké, qui venait de rentrer sous la tente dit à Soundjata que le devin avait vu en songe la fin de Soumaoro.

Le soleil s'était levé de l'autre côté du fleuve et éclairait déjà toute la plaine. Les troupes de Soundjata se déployaient en travers de la plaine depuis le fleuve, mais l'armée de Soumaoro était si nombreuse que d'autres Sofas restés à Krina étaient montés sur les remparts pour voir la bataille ; déjà on remarquait de loin Soumaoro à sa haute coiffure ; les ailes de son immense armée touchaient le fleuve d'une part et les collines de l'autre. Comme à Negueboria, Soundjata ne déploya pas toutes ses forces ; les archers de Wagadou et les Djallonkés se tenaient en arrière, prêts à déborder sur la gauche vers les collines à mesure que le combat se généraliserait. Fakoli Koroma et Kamandjan étaient en première ligne avec Soundjata et sa cavalerie.

Soundjata, de sa voix puissante, cria: « An nyewa » 1 ; l'ordre fut répété de tribu en tribu et l'armée se mit en marche. Soumaoro se tenait à droite avec sa cavalerie.

Djata et sa cavalerie chargèrent avec fougue, ils furent arrêtés par les cavaliers de Diaghan et une lutte à mort s'engagea. Tabon Wana et les archers de Wagadou déployèrent leurs rangs vers les collines, la bataille se généralisa dans toute la plaine tandis qu'un soleil implacable montait dans le ciel. Les chevaux de Mema sont d'une agilité extraordinaire, ils s'élançaient, les pattes de devant levées, et fondaient sur les cavaliers Diaghanka qui roulaient par terre, meurtris sous les sabots des chevaux. Bientôt ceux de Diaghan lâchèrent pied et se replièrent précipitamment vers l'arrière, le centre ennemi était rompu.
C'est alors que Manding Bory arriva à bride abattue pour annoncer à Soundjata que Soumaoro ayant fait donner toute sa réserve s'était abattu sur Fakoli et ses forgerons ; visiblement Soumaoro tenait à châtier son neveu ; déjà accablés sous le nombre, les hommes de Fakoli commençaient à céder du terrain. La bataille n'était pas encore gagnée.

Les yeux rouges de colère, Soundjata entraîna sa cavalerie vers la gauche du côté des collines où Fakoli supportait vaillamment les coups de son oncle. Mais partout où passait le fils du buffle, la mort se réjouissait. La présence de Soundjata rétablit un moment l'équilibre.

Cependant les Sofas de Sosso étaient trop nombreux. Le fils de Sogolon cherchait Soumaoro ; il l'aperçut au milieu de la mêlée ; Soundjata frappait à droite et à gauche ; les Sossos s'écartaient sur son passage ; le roi de Sosso, qui ne voulait pas se laisser approcher, se replia loin derrière ses hommes, mais Soundjata le suivait des yeux ; il s'arrêta et tendit son arc. La flèche partit, elle toucha Soumaoro à l'épaule, l'ergot de coq ne fit que l'égratigner, mais l'effet fut immédiat et Soumaoro sentit ses forces l'abandonner ; ses regards rencontrèrent ceux de Soundjata ; tremblant maintenant comme un homme saisi par la fièvre, le vaincu leva les yeux vers le soleil, vit passer au-dessus de la mêlée un grand oiseau noir et il comprit. C'était l'oiseau du malheur.
— L'oiseau de Krina, murmura-t-il.

Le roi de Sosso poussa un grand cri et tournant la bride il s'enfuit. Les Sossos virent le roi et ils s'enfuirent à leur tour. Ce fut la déroute ; la mort planait sur la grande plaine ; le sang coulait par mille plaies. Qui peut dire combien de Sossos ont trouvé la mort à Krina ? La déroute était complète. Soundjata se lança alors à la poursuite de Soumaoro.
Le soleil était au milieu de sa course Fakoli avait rejoint Diata et toux deux chevauchaient à la poursuite des fugitifs. Soumaoro avait beaucoup d'avance. Quittant la plaine, le roi de Sosso s'était lancé à travers la brousse sèche, suivi par son fils Balla et quelques chefs Sosso. Quand la nuit tomba Soundjata et Fakoli s'arrêtèrent à un hameau, ils y prirent un peu de repos et de nourriture. Aucun des habitants n'avait vu Soumaoro ; Soundjata et Fakoli reprirent la poursuite dès qu'ils furent rejoints par quelques cavaliers de Mema. Ils galopèrent toute la nuit. Au point du jour Djata apprit de quelques paysans que des cavaliers étaient passés quand il faisait encore noir. Le roi de Sosso fuyait toutes les agglomérations, il savait que les habitants, le voyant en fuite, n'hésiteraient plus à se saisir de lui pour entrer dans les bonnes grâces du nouveau maître. Soumaoro n'était plus suivi que par son fils Balla. Après avoir changé de monture au point du jour, le roi de Sosso galopait toujours vers le nord.

Soundjata trouvait difficilement la trace des fugitifs. Fakoli était aussi décidé que Djata, il connaissait davantage ce pays. De ces deux hommes il était difficile de savoir qui nourrissait le plus de haine contre Soumaoro : l'un vengeait son pays humilié, I'autre était poussé par l'amour d'une femme. A midi, les chevaux de Soundjata et de Fakoli étaient à bout de souffle les poursuivants s'arrêtèrent à Bankoumana ; ils prirent un peu de nourriture ; Djata apprit que Soumaoro se dirigeait vers Koulikoro, il ne s'était donné que le temps de changer de monture. Soundjata et Fakoli repartirent aussitôt. Fakoli dit :
— Pour aller à Koulikoro, je connais un raccourci, mais c'est une piste difficile, nos chevaux seront fatigués.
— Allons-y, fit Djata.

Ils se jetèrent sur une piste difficile, ravinée ; coupant à travers champs ils allaient maintenant à travers la brousse. Pointant un doigt devant lui, Fakoli dit :
— Regarde là-bas les collines qui annoncent Koulikoro, nous avons gagné du temps.
— Tant mieux fit simplement Djata.

Cependant les chevaux étaient fatigués, ils allaient moins vite et décollaient péniblement leurs sabots de terre ; comme aucun village n'était en vue, Djata et Fakoli mirent pied à terre pour laisser souffler les montures. Fakoli, qui avait en selle un petit sac de mil leur donna à manger. Les deux hommes se reposèrent sous un arbre. Fakoli disait même que Soumaoro, qui avait emprunté une route aisée mais longue, n'arriverait qu'à la nuit tombante à Koulikoro. Il parlait en homme qui avait chevauché à travers tout le pays.

Ils reprirent leur course et gravirent bientôt les collines ; arrivés au sommet ils aperçurent deux cavaliers au fond de la vallée qui se dirigeaient vers la montagne.
— Les voilà ! cria Djata.

Le soir tombait, les rayons du soleil effleuraient déjà le sommet de la montagne de Koulikoro quand Soumaoro et son fils virent deux cavaliers derrière eux, ils coupèrent court et commencèrent à gravir la montagne. Le roi de Sosso et son fils Balla semblaient avoir des chevaux plus frais. Djata et Fakoli redoublaient d'efforts.

Les fugitifs étaient à portée de lance, Djata leur cria :
— Arrêtez, arrêtez-vous !

Comme Djata, Fakoli voulait prendre Soumaoro vivant. L'époux de Keleya fit un crochet et déborda Soumaoro à droite, il fit faire un bond à son cheval. Il allait mettre la main sur son oncle, mais celui-ci lui échappa par un brusque détour ; dans son élan Fakoli buta sur Balla et tous deux roulèrent à terre. Fakoli se releva et saisit son cousin tandis que Soundjata, lançant sa pique de toutes ses forces fit s'écrouler le cheval de Soumaoro. Le vieux roi se releva et la course à pied commença. Soumaoro était un vigoureux vieillard, il escaladait la montagne avec beaucoup d'agilité ; Djata ne voulait ni le blesser, ni le tuer ; il voulait le prendre vif.

Le soleil venait de disparaître complètement ; par deux fois le roi de Sosso échappa à Djata. Soumaoro arrivé au sommet de Koulikoro, dévala la pente suivi par Djata. A droite il vit la grotte béante de Koulikoro, sans hésiter il entra dans la grotte noire. Soundjata s'arrêta devant la grotte. A ce moment arriva Fakoli, il venait de lier les mains à Sosso-Balla son cousin.
— Là, fit Soundjata, il est entré dans la grotte.
— Mais elle communique avec le fleuve, dit Fakoli

On entendit des pas de chevaux, c'était un détachement des cavaliers de Mema ; aussitôt le fils de Sogolon en envoya quelques-uns vers le fleuve, et fit garder toute la montagne. La nuit était complète. Soundjata entra à Koulikoro avec Fakoli. Là, il attendit le reste de l'armée 2

La victoire de Krina fut éclatante, les débris de l'armée de Soumaoro allèrent s'enfermer dans Sosso. Mais c'en était fait de l'empire Sosso. De partout des rois envoyaient leur soumission à Soundjata ; le roi de Guidimakhan envoya à Djata une riche ambassade, en même temps il donnait sa fille en mariage au vainqueur ; les ambassades arrivaient à Koulikoro, mais quand Djata fut rejoint par toute l'armée, il marcha sur Sosso, la ville de Soumaoro ; Sosso la ville imprenable, la ville des forgerons habiles à manier la lance.

En l'absence du roi et de son fils, Noumounkeba, un chef de tribu dirigea la défense de la ville ; rapidement il y avait entassé tout ce qu'il put trouver comme vivres dans la campagne environnante.

Sosso était une ville superbe ; elle dressait dans la campagne son triple rempart aux tours effrayantes ; la ville comportait 188 places fortes, le palais de Soumaoro se dressait, telle une tour géante, au-dessus de toute la ville. Sosso n'avait qu'une porte, gigantesque et en fer, oeuvre des fils du feu. Noumounkeba espérait fixer Soundjata devant Sosso, il avait suffisamment de vivres pour tenir pendant un an.

Le soleil commençait à disparaître lorsque Sogolon-Djata parut devant Sosso-la-Superbe ; Djata et son état-major, du haut d'une colline, contemplèrent la formidable ville du roi-sorcier ; l'armée campa dans la plaine en face de la grande porte de la ville et les feux s'allumèrent dans le camp. Djata voulait prendre Sosso en une matinée; il fit manger double ration à ses hommes et les tam-tams rugirent toute la nuit pour exciter les vainqueurs de Krina.

Au point du jour, les tours des remparts étaient noires de Sofas ; d'autres étaient placés sur les remparts mêmes, c'étaient des archers. Les Maninka sont maîtres dans l'art d'enlever une ville ; Soundjata plaça en première ligne les Sofas du Manding ; ceux qui tenaient les échelles étaient sur le second rang, protégés par les boucliers des lanciers. Le gros de l'armée devait attaquer la porte de la ville. Quand tout fut prêt, Djata donna I'ordre d'attaquer les tambours retentirent, les cors sonnèrent et telle une marée la première ligne mandingue s'ébranla en poussant de grands cris ; les boucliers levés au-dessus de la tête, les Maninka avancèrent jusqu'au pied du mur, alors les Sossos commencèrent à faire pleuvoir de grosses pierres sur les assaillants ; à l'arrière, les archers de Wagadou lançaient des flèches vers les remparts. L'attaque se généralisa, la ville était attaquée sur tous les points. Soundjata avait une réserve terrible : c'étaient les archers, que le roi des Bobos lui avait envoyés peu avant Krina ; les archers Bobo sont les meilleurs archers du monde. Genoux en terre les archers lancèrent des flèches enflammées au-dessus des remparts ; dans les murs, les cases en paille prirent feu et la fumée monta en tourbillon ; les échelles étaient dressées contre l'enceinte ; les premiers Sofas Maninka étaient déjà à son faîte ; les Sossos pris de panique en voyant la ville en feu hésitèrent un instant ; la tour monumentale surplombant la porte céda ; les forgerons de Fakoli s'en étaient rendus maîtres ; ils s'introduisirent dans la ville où les cris des femmes et des enfants achevaient d'affoler les Sossos. Ils ouvrirent la porte au gros de l'armée.

Alors commença le massacre. Des femmes et des enfante au milieu des Sossos en fuite imploraient la grâce des vainqueurs ; Djata et sa cavalerie était maintenant devant la formidable tour-palais de Soumaoro. Noumounkeba se sentant perdu sortit pour combattre, le sabre levé il fonça sur Djata mais celui-ci l'esquiva et rattrapant le bras armé du Sosso, il le fit agenouiller tandis que le sabre tombait. Il ne le tua point, il le remit entre les mains de Manding Bory.

Le palais de Soumaoro était maintenant à la merci de Soundjata. Pendant que partout les Sossos imploraient quartier, Soundjata, précédé par Balla Fasséké, entra dans la tour de Soumaoro. Le griot connaissait le palais de sa captivité dans ses moindres recoins ; il conduisit Soundjata à la chambre magique de Soumaoro.

Quand Balla Fasséké ouvrit la porte de la chambre, celle-ci avait changé d'aspect depuis que Soumaoro avait été touché par la flèche fatale. Les habitants de sa chambre avaient perdu toute force : le serpent de la jarre agonisait, les hiboux du perchoir se débattaient lamentablement par terre ; tout se mourait dans la maison du sorcier. C'en était fait de la puissance de Soumaoro. Soundjata fit descendre tous les fétiches de Soumaoro ; devant le palais on rassembla toutes les femmes de Soumaoro, toutes des princesses enlevées de force à leur famille. Les captifs, mains liées au dos étaient déjà rassemblés. Ainsi qu'il l'avait voulu, Soundjata avait pris Sosso en une matinée. Quand tout fut hors de la ville, quand on eut sorti tout ce qu'iI y avait à prendre, Soundjata donna l'ordre d'en achever la destruction : on mit le feu aux dernières maisons ; les prisonniers furent employés à la destruction des murailles. Ainsi, comme le voulait Djata, Sosso fut détruite jusque dans ses fondements.

Oui, Sosso fut rasée, elle a disparu la ville orgueilleuse de Soumaoro ; une affreuse solitude régne sur les lieux où des rois venaient s'humilier devant le roi-sorcier. La trace des cases a disparu, du palais aux sept étages de Soumaoro il ne reste plus rien. Champ de désolation, Sosso est maintenant le lieu où les perdreaux et les pintades viennent s'ébrouer.

Depuis que ces lieux ont perdu leurs habitants, plusieurs années se sont écoulées, plusieurs fois des lunes ont traversé le ciel, le bouréin 3, l'arbre de la désolation, étend ses broussailles épineuses et pousse insolemment dans la capitale de Soumaoro. Sosso l'orgueilleuse n'est qu'un souvenir qui ne revit que dans la bouche des griots. Les hyènes y viennent pleurer la nuit, les lièvres et les biches viennent brouter sur l'emplacement du palais de Soumaoro, le roi qui portait des vêtements de peaux humaines.

Sosso a disparu de la terre et c'est Soundjata, le fils du buffle, qui a rendu ces lieux à la solitude.

Après la destruction de la capitale de Soumaoro, le monde ne connaissait plus d'autre maître que Sogolon-Djata.

Notes
1. An nyewa : En avant.
2. Sur la fin du roi de Sosso les versions sont nombreuses. Ici c'est la version du Hamana. Celle du Dioma (Sud de Siguiri) dit que Soumaoro poursuivi par Soundjata invoqua une dernière fois ses génies protecteurs, leur demandant de ne point le laisser tomber aux mains de Soundjata ; aussi fut-il transformé en pierre sur le mont de Koulikoro. D'autres traditions disent que Soumaoro, atteint par l'ergot de coq à Krina, disparut sur le champ de bataille même.
Toujours est-il qu'après Krina on n'entendit plus parler du roi de Sosso, Balla, son fils, capturé par Fakoli, fut emmené en captivité au Manding.
3. Bouréin. Arbuste nain qui pousse dans les terrains pauvres. C'est une variété de gardenia de la savane. Le Bouréin est interdit comme bois de cuisine, c'est un arbuste qui porte malheur.


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